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Face dreaming against the walls of the world where did I go?
15 février 2011

DO NOT SWIM

wasp_island

Fabien est devant moi. Pieds nus sur les rochers bas et battus par les vagues. La pierre glisse et les coquillages piquent la plante des pieds. Nous sommes en mars, à trois cents kilomètres au sud de Sydney, près de Bateman’s Bay. Nous avons voyagé dans le Sud Est australien depuis le 20 février et au retour de Melbourne nous nous sommes arrêtés une semaine à Canberra.

Je connais Fabien depuis la maternelle. Il travaille dans le laboratoire d’observation spatiale du Mont Kosciusko. Nous avons logé chez lui le temps de casser des planches dans les skateparks. Il nous a suivi sur la côte à deux heures de là. Nous avons vu des kangourous qui n‘ont plus grand chose de sauvage et de gros varans. En face de nous, une île, quelques centaines de mètres de nage pour y parvenir. A première vue il y a peu de courants. Bernard et Thibault jouent avec leurs appareils photo sur la plage. Raphaël reste en arrière. Il regarde Fabien avancer vers l’eau. Je le préviens « S’il y va, je le suis, je ne le laisse pas seul »  il acquiesce à demi inquiet.

Fabien ne se retourne pas. Sans un mot  il plonge entre deux ressacs. Je m’avance à mon tour, cherche des prises pour mes pieds et glisse sous le coup des vagues. Je me mets à quatre pattes avant de sauter dans l’eau. Fabien est déjà à vingt mètres en avant. Il avance régulièrement. Je n’ai pas beaucoup nagé ces derniers temps. Pas une telle distance. Je m’emballe, vais trop vite et peine à trouver un rythme régulier. Je n’ai pas repris mon souffle quand j’arrive à son niveau. J’observe sa régularité. Il nage droit devant lui sans penser. Je me calme et ouvre les yeux. L’eau est très claire. Je distingue parfaitement le fond. Nous nageons encore cent mètres avant de nous arrêter. L’île est encore loin, les reliefs sous-marins demeurent tout à fait visibles. Les rochers sont couverts d’algues. Nous tentons de plonger le plus profond possible. Mes oreilles sont douloureuses et j’ai le souffle court. Les rochers restent hors d’atteinte.

La nage reprend et je scrute les fonds avec une légère angoisse. Je cherche le requin qui viendrait à notre rencontre. La possibilité est grande. Cent mètres nous séparent déjà de la côte, il n’y pas de sauveteurs et la plage est à cinq cents mètres des rochers d’où nous sommes partis. Nous sommes ce qu’il y a de plus gros en train de nager dans le secteur. La chaleur du soleil sur mon dos me rassure et me fait oublier la fraîcheur de l’eau. L’île se rapproche régulièrement. Je nage au-dessus de ce que j’estime être une vingtaine de mètres d’eau. Je distingue encore le détail des rochers.

J’ai franchement peur. Mes craintes actuelles et passées se mêlent et j’ai présumé de mes forces. Je relève parfois la tête pour m’apercevoir que Fabien dérive ou bien que c’est moi qui nage en biais. Je fatigue mais tâche de me concentrer sur l’objectif, l’île, et le moyen d’y parvenir, une respiration régulière, l’effort soutenu. Je réalise le vide sous moi et prends enfin confiance. Je parie sur moi-même et compte gagner. Nous posons le pied sur l’île au sud et le sol est agressif. L’ombre des falaises projette le froid du vent sur nos cheveux et maillots de bain. Je me sens à poil sur la pierre déserte. Nous observons les oiseaux en quête de coquillages. Vers le nord nous escaladons les rochers qui mènent au plateau qui est le sommet de l’île. Un panneau en bois nous donne le nom de l’endroit : Wasp Island. Le soleil assèche les herbes et j’ai la sensation que je ne peux pas rester, il me faut retourner sur la plage.

Nous n’avons rien avalé depuis la veille et malgré mes muscles encore tendus je n’ai plus peur, ni des profondeurs, ni des courants qui nous ont trompés. J’ai chaud et nous sommes les seuls humains sur un bout de terre à peine plus grand qu’un terrain de foot. Nous retraversons calmement la distance qui nous sépare de la plage et j’ai envie de nager encore lorsque j’atteins les rochers de départ. Je ne me souviens pas que nous ayons échangé plus de trois mots.

 

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